Dans le cadre d'une intervention, cette fois pour le réseau APM, j'ai eu la chance de visiter le Camp des Milles, situé près de Aix-en-Provence. Cette journée était l'occasion d'aborder une forme de mémoire, collective, impliquée dans le développement de soi : c'est par l'intégration de connaissances que vous développez votre personnalité toute votre vie. L'intérêt d'une telle démarche est d'associer le contexte (le lieu) et le savoir.
Au-delà du lieu, c'est toute une réflexion qui est proposée au visiteur : comment expliquer que des
êtres humains organisent des génocides ? Quels mécanismes psychologiques permettent de
convaincre une majorité de personnes d'adhérer au principe même du génocide ? Comment éviter
que ça se reproduise ?
Dans cet article, vous apprendrez que :
Focus : la mémoire autobiographique
Quand on évoque sa mémoire, sans le savoir, on fait référence à sa mémoire personnelle. Celle qui stocke nos propres souvenirs : ce qu'on a fait la veille, le prénom de telle ou telle personne. Cette mémoire, dite autobiographique, nous permet de construire notre propre identité. Cette mémoire est constituée d'une mémoire épisodique (le contexte) et sémantique (le sens et le savoir général). Cette forme de mémoire est sensible aux interprétations : on construit nos propres souvenirs.
Quand on évoque sa mémoire, sans le savoir, on fait référence à sa mémoire personnelle. Celle qui stocke nos propres souvenirs : ce qu'on a fait la veille, le prénom de telle ou telle personne. Cette mémoire, dite autobiographique, nous permet de construire notre propre identité. Cette mémoire est constituée d'une mémoire épisodique (le contexte) et sémantique (le sens et le savoir général). Cette forme de mémoire est sensible aux interprétations : on construit nos propres souvenirs.
- la mémoire collective [1] est extrêmement fragile : si la transmission ne se fait pas efficacement, l'homme reproduit ses erreurs. En ce sens elle s'apparente à la mémoire autobiographique, sujette aux interprétations et faux souvenirs ;
- une démocratie peut s'écrouler en 5 jours
- un génocide peut s'organiser en 24h00
- nos sociétés modernes ne sont absolument pas à l'abri d'un tel drame
C'est le directeur du Camp des Milles, Cyprien Fonvielle, directeur de l'établissement qui nous a guidé et commenté la visite. Celle-ci s'est déroulée en 4 parties :
- Les origines du bâtiment
- Son histoire
- Une immersion
- Une partie finale sur la réflexion
Origines
La tuilerie des Milles voit le jour en 1882[2]. Créée par la famille Rastoin, elle s'inscrit dans un contexte industriel croissant. Située sur une zone argileuse, proche de la rivière l'Arc, son activité s'arrêtera en 2006. Entre 1937 et 1947, le lieu sera utilisé comme camp de rétention puis de stockage de munitions.
En 1913, un incendie ravage l'usine. La nouvelle structure sera constituée de béton armé, une innovation à l'époque. En 1937, la famille Rastoin, dans l'incapacité de gérer la production, devenue trop forte, décide de fermer le site. Il sera récupéré dès 1940 par le gouvernement français pour y enfermer des intellectuels, artistes et autres penseurs, ressortissants du Reich.
Histoire
Tout commence en 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, par le traité de Versailles. Battue, l'Allemagne est contrainte de rembourser le coût de la guerre. Une dette colossale qui va affaiblir le pays et créer des tensions vives. A cela s'ajoute le crack de 1929 qui amplifie cette dette. A cette époque, la rumeur est celle-ci : les juifs sont à l'origine de la crise.
Le 5 mars 1933, après l'incendie du parlement allemand, attribué aux communistes, Hitler accède au pouvoir et persuade le président Paul Von Hindenburg de signer le décret de l'incendie du Reichstag. Ce décret a pour conséquence de consolider le régime Nazi, de supprimer un grand nombre de libertés individuelles, et l'arrestation des opposants au régime. C'est la fin de la démocratie en Allemagne. Fin mars 1933, le premier camp de rétention est créé à Munich et les premières exclusions juives de la société allemande démarrent. En 1935, les lois de Nuremberg accélèrent ce processus. Dès lors, les juifs fuient, notamment vers la France. En 1939, la guerre éclate. Les ressortissants allemands qui ont fui le régime, pourtant antifascistes pour la plupart, sont considérés comme ennemis et donc enfermés dans des camps de rétention, comme celui des Milles.
En 1940, la France, défaite, signe l'armistice avec l'Allemagne. C'est le régime de Vichy. La République Française devient l’État Français. Les pleins pouvoirs sont attribués au Maréchal Pétain. Il met en œuvre une politique de collaboration avec les nazis et instaure des lois antisémistes. Dès lors, le camp des Milles devient un camp pour indésirables. 3500 internés y sont regroupés, pour la plupart des artistes, des écrivains, des penseurs.
En 1942, le camp évolue : plus de 2000 Juifs de tout âge sont déportés en 5 convois vers Auschwitz. Le Camp des Milles devient un camp de déportation.
Une immersion
A l'origine, le Camp des Milles est une usine, une tuilerie, constituée de 3 niveaux : un rez de chaussée où se situent les fours – qui n'ont jamais été utilisés autrement que pour la fabrique des tuiles – et deux étages. Les conditions de détention étaient difficiles. Entassés à même le sol, couvert de poussière de brique, très volatile, les détenus doivent supporter la promiscuité, la manque d'hygiène, l'obscurité, le froid.
Au départ réservé aux hommes, le lieu abritera dans un second temps les familles : les femmes et les enfants sont logés au second étage.
La particularité du camp vient de la nature même des prisonniers : des intellectuels, des artistes qui vont naturellement développer une vie culturelle : des expositions, des spectacles, des conférences, des débats. L'enjeu est de conserver une vie "normale", mais aussi de tuer l'ennui. Les autorités acceptent et commandent même des oeuvres. Le petit village des Mines profite également de cette richesse en proposant à la vente des productions d'artistes issues du camp.
Une invitation à réfléchir
Quels mécanismes sociaux, psychologiques permettent des horreurs tels qu'un génocide ? Quels points communs entre la Shoah, les Tziganes, le Rwanda, l'Arménie ? Le Camp des Milles propose une réflexion autour du cheminement et des moyens mis en oeuvre pour amener une population à fermer les yeux voire même à être complice de ce type de crimes.
Un processus en 3 étapes
Un génocide prend ses racines dans le terreau : les préjugés et les tensions sociales. Le contexte du Camp des Milles nous renvoie d'abord au traité de Versailles, vécu comme une humiliation pour le gouvernement Allemand. Renforcé par la crise de 29, les coupables sont désignés : les juifs, les communistes. La population est nourrie par ces informations qu'elle accepte comme vraie[3] .
- Le résistible engrenage vers le pire :
Des groupes extrémistes se forment et exacerbent le terreau de départ. A cela s'ajoutent une peur de l'avenir, de l'agressivité. La crise économique, les problèmes sociaux sont attribués à un bouc émissaire et le racisme s'emballe. Un complot est suggéré ainsi qu'une solution pour se débarrasser du problème.
- De la démocratie au régime autoritaire :
Quand la perte de repères s'étend, qu'elle se généralise, la violence s'installe. Sous prétexte de rétablir l'ordre et la sécurité, le régime supprime des libertés pour privilégier le confort dit "de la meute" au détriment de l'individu. La démocratie s'effondre.
- L'extension des persécutions et des menaces contre tous :
Ce qui au départ concerne le bouc émissaire s'étend ensuite au reste de la population. Progressivement on habitue la population au régime en prenant des mesures qui autorisent et banalisent la discrimination, la persécution, l'internement. C'est ce qui s'est passé pour les juifs avec les lois de Nuremberg et la légalisation de la ségrégation juive. D'une façon générale, toute personne susceptible de représenter une menace pour l'état est neutralisée.
4 clés pour manipuler une population
Pour parvenir au processus ci-dessus, 4 clés sont habituellement utilisées :
- La soumission à l'autorité : entre 1960 et 1963 le chercheur Milgram évalue le degré d'obéissance d'un individu confronté à l'autorité, notamment lorsqu'elle implique une certaine prise de conscience. Le sujet, sous autorité, est amené à punir une personne qui ne réussit pas à mémoriser une liste de mots. Plus de 60% des sujets sont capables d'infliger une punition mortelle si on leur demande de le faire... et même si ces sujets savent que ça n'est "pas bien" ou "mortel" : ils font leur "devoir".
- Déresponsabilisation : sous autorité, on a vite fait de ne pas se sentir responsable : "on m'a demandé de le faire". On préfère rejeter la faute sur l'autre.
- Passivité et non-assistance à personne en danger : en rejetant la faute sur l'autre, on adopte la politique de l'autruche : "d'autres sont là pour sauver cette personne", par exemple, quand on est témoin d'une bagarre ou autre.
- Effet de groupe : le conformisme est d'usage : on n'aime pas se faire remarquer et suivre la foule. On sait que si on sort du lot, on risque de déclencher une punition ou un blâme.
Conclusion : nourrissez votre mémoire de connaissances historiques
Dans un précédent billet, je vous encourage à éduquer votre mémoire autobiographique. Nourrir votre mémoire personnelle de connaissances, d'expériences de vie, partager vos savoirs et s'inspirer des autres, toujours dans un cadre positif : c'est une définition juste, à mon sens, de ce qu'on appelle le "développement personnel". Qui, au passage, est souvent réduit à s'initier à des stratégies psychologiques.
S'intéresser à l'histoire permet d'ajuster ses comportements. Prendre conscience des erreurs passées (mais aussi des succès) est la meilleure voie pour progresser. L'un des grands drames de l'humanité repose sur cette incapacité à "oublier". Par exemple, avant de visiter le Camp des Milles, j'ignorais totalement qu'une démocratie pouvait aussi facilement et rapidement basculer vers un régime dictatorial. Pire, en comparant cette période trouble à l'actualité, il me paraît évident que certaines erreurs historiques sont en ce moment en train d'être répétées : montée en force du populisme, tensions sociales, un bouc émissaire (les musulmans), des complots (Trump qui accuse les médias) etc. La seule vraie différence réside sans doute dans notre capacité actuelle à communiquer entre nous. Internet a changé la donne mais comme toute technologie son utilisation peut à la fois être positive et négative.
Je me suis donc lancé le défi de mémoriser les 500 dates historiques les plus importantes de l'histoire du monde : à travers ce travail (qui complète celui sur l'encyclopédie de culture générale), je compte aussi sensibiliser à cette nécessité : bien comprendre son passé pour appréhender le futur.
Une galerie photo pour se souvenir
Cliquez sur les images pour les voir en grand :
Notes :
[1] La mémoire collective concerne les disciplines liées à l'histoire, la sociologie, la philosophie et bien évidemment la psychologie.
[2] www.aixenprovencetourism.com/a-voir-que-faire/activites-et-loisirs/musees-et-centres-dart/?detail=13777
[3] Voir mon livre La Stratégie de l'Illusioniste
Vos réactions (3)
Magnifique - Merci !!
merci
C'est magnifique