Aussi loin que remonte notre mémoire collective, celle chargée de répertorier notre passé, notre histoire, il semblerait que la première manifestation d'une mémoire prodigieuse se situe dans l'Antiquité.
Il faut savoir qu'à cette époque, la foule admire toute manifestation d'une mémoire « entraînée » qui permet de retenir des poèmes, des discours. La rhétorique bat son plein et le savoir se transmet oralement. La mémoire est une faculté quasi divine, réservée aux seuls initiés !
Il faut savoir qu'à cette époque, la foule admire toute manifestation d'une mémoire « entraînée » qui permet de retenir des poèmes, des discours. La rhétorique bat son plein et le savoir se transmet oralement. La mémoire est une faculté quasi divine, réservée aux seuls initiés !
L'origine du mot "mémoire"
En parlant de divinités : savez-vous d'où nous vient le mot Mémoire ? Non ? Alors laissez moi vous raconter l'histoire de Mnémosyne . Mnémosyne, déesse grecque et fille d'Uranus, le Ciel et de Gaia, la Terre, tomba amoureuse de Zeus lui-même. Mais comment séduire le plus puissant des Dieux ? Comment attirer son attention sur elle, simple Titanide ? Notre Déesse avait un don particulier : celui de raconter des histoires ! Et pour charmer le Dieu des dieux, il suffisait de le flatter en lui narrant les victoires des dieux contre leurs ennemis, les Titans ! Ainsi, un jour, Zeus, sous les traits d'un berger, rendit visite à Mnémosyne pendant neuf nuits. Un an plus tard elle donna naissance aux Muses ou Filles de Mémoire, protectrices des arts, des lettres et des sciences :
- Calliope, pour l'Éloquence,
- Melpomène, muse de la Tragédie
- Thalie, muse de la Comédie,
- Euterpe, muse de la Musique
- Clio muse de l'histoire
- Polymnie, muse de la Poésie lyrique
- Érato celle de l'Élégie
- Uranie muse de l'Astronomie
- Terpsichore, muse de la Danse.
Les Muses sont donc les déesses Grecques qui président aux arts et aux sciences et inspirent ceux, poètes, musiciens et hommes de sciences, qui s'en remettent à l'imagination. Elles sont le symbole du lien étroit réunissant tous les arts. Elles permettent d'accéder à un savoir sur le monde : la musique dont le nom vient des Muses est une porte vers la connaissance de la structure de l'univers : elle ouvre sur l'arithmétique et l'astronomie, elle permet à l'individu de percevoir l'harmonie des sphères. Mnémosyne, mère des 9 Muses, devint donc le symbole d'une faculté qu'on appellerait Mnemosys, "mémoire" en français. Mais revenons aux premières manifestations d'une Mémoire Prodigieuse.
Une mémoire prodigieuse
Dans l'Antiquité, donc, Simonide de Céos, poète grec, participe à un banquet organisé par un dénommé Scopas, un athlète qui avait remporté un pugilat. Simonide n'est pas là comme simple invité, mais pour réciter un poème en honneur de son hôte, vainqueur, comme il était d'usage. Une fois son poème terminé, Simonide continue et fait l'éloge des Dieux jumeaux Castor et Pollux. A cet instant précis, on prévient Simonide que deux jeunes hommes l'attendent à l'extérieur. Ce dernier sort, mais ne trouve personne. C'est à ce moment, raconte la légende, que le plafond de la salle où il se trouvait quelques secondes auparavant s'effondre sur tous les invités. Tous meurent et Simonide est le seul rescapé. Reconnaissance des dieux qui l'auraient attiré au-dehors ?
Les corps des victimes, méconnaissables, sont impossibles à identifier. Mais Simonide, formé à l'art de la mnémotechnique, est capable de se rappeler la place exacte occupée par tous les invités ! Et c'est de cette façon qu'ils finissent par être tous identifiés. Mythe ou réalité, cette histoire, contée par Cicéron, se situe aux alentours de 480 av.J-C. Elle est la première trace d'une technique encore utilisée par de nombreux mnémonistes professionnels : la méthode des lieux ou « Loci ». Cette technique consiste à imaginer et mémoriser un itinéraire, avec des étapes clés. Ces étapes seront reliées aux informations que l'on souhaite mémoriser. Mais il est trop tôt pour en parler maintenant. Continuons notre voyage.
3 principes pour mémoriser
Plus tard, vers 400 av.J.C, c'est l'auteur inconnu du traité Dialexis qui préconise trois grands principes pour mémoriser : faire attention, répéter et relier l'information nouvelle à une information ancienne . Vers 85 av.J.C, le traité Ad Herennium fait la distinction entre deux formes de mémoire : celle qui permet d'apprendre par cœur, et l'autre basée sur la compréhension. C'est cette dernière qui intéresse les orateurs. Ces derniers, amenés à tenir divers discours, ne peuvent se permettre d'oublier aucune idée importante. Ils procèdent donc de deux façons. Dans un premier temps, ils mémorisent les idées clés, en suivant une logique. Ils utilisent la méthode des lieux pour garder leur fil conducteur. Ensuite, ils font appel à leur mémoire « artificielle » en apprenant par cœur les points importants.
Déjà, à l'époque, on avait conscience de l'importance visuelle de la mémoire. Plus tard, avec l'essor du christianisme, les pratiques mnémotechniques évoluent. La rhétorique laisse sa place à la prière : l'important, ce n'est plus de retenir pour transmettre, mais pour mémoriser les textes sacrés, pour s'imprégner des valeurs chrétiennes. La Bible est l'ouvrage de référence et on invente toutes sortes de procédés mnémotechniques, faisant appel à l'imaginaire. L'enjeu est énorme : mémoriser, c'est tout simplement s'approprier un savoir. La quête du savoir absolu anime les plus grands personnages du Moyen Age, avides de techniques qui leur permettraient de puiser dans leur mémoire comme dans une bibliothèque. Cette période, de vide culturel, est aussi une période de lente reconstruction. La mémoire prend alors toute son importance : elle est le dernier rempart contre l'oubli. Vers la fin du Moyen Age, la mnémotechnique est remise en question. La méthode des lieux, base de tous les procédés mnémotechniques jusqu'à présent, est remplacée par l'étude approfondie des textes. La lecture revient à la mode. Montaigne, de son côté, fustige la mémoire mécanique et clame que « mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine ».
Raisonner pour apprendre
Le raisonnement prend de l'ampleur et semble s'opposer au « par cœur », même si les principes de la rhétorique continuent d'être enseignés. Pour la première fois, Pierre de la Ramée met en avant une autre approche de la mémoire en défendant la logique et la classification : les premiers schémas heuristiques, en arborescence, voient le jour et s'opposent à toute forme de mémoire « artificielle ».
L'essor de l'imprimerie place définitivement au second plan la mnémotechnique : le savoir est désormais consigné et archivé. Avec le temps, les bibliothèques, mémoire collective de notre passé, de notre savoir, prennent le relais et soulagent notre mémoire de tous ces savoirs qui, il faut bien l'admettre, ne peuvent tous être maîtrisés par une seule personne.
D'autres techniques, rapprochant l'information de l'image vont cependant naître. Ainsi, au 16ème siècle apparaît le premier code imagé, qui consiste à créer des analogies. Par exemple, le A s'apparente avec un compas, le 2 avec un cygne. De ces nouvelles techniques va naître une table de rappel, attribuée à Pierre Hérigone, mathématicien qui, le premier, abordera le sujet dans un chapitre de son livre Cours de mathématiques. Qu'est-ce que le code chiffre lettre ? Tout simplement un procédé qui permet de coder les chiffres en lettres. Ainsi, 1 se code « p » pour la consonne ou « a » pour la voyelle. Cette façon de faire permettait de créer des « mots », plus faciles à mémoriser que les chiffres. L'application de cette technique concernait principalement les dates.
Une table de rappel pour aider la mémoire
Plus tard, au 19ème siècle, Grégoire de Feinaigle, mnémoniste réputé, contribue à l'essor du code chiffre lettre à travers des démonstrations, des cours et des conférences dans toute l'Europe. C'est pourtant un français, Aimé Paris, passionné de sténographie qui donnera au code chiffre lettre ses lettres de noblesse, en y impliquant des consonantiques en lieu et place de consonnes arbitraires. La mnémotechnique, face aux avancées de l'imprimerie notamment, mais aussi culturelles, va perdre petit à petit de sa superbe : le déclin, amorcé dès le début du 19ème siècle va s'accélérer et tomber peu à peu dans l'oubli.
Pour tout le monde ? Non, vous vous en doutez bien. En embuscade, des illusionnistes comptent bien tirer profit de toutes ces techniques à leur avantage. La reconversion de la mnémotechnique est assurée et perdure encore de nos jours.
La mémoire au music-hall
Fort de ses 17 000 000 d'exemplaires de livres vendus, dont 9.000.000 pour son seul ouvrage Comment développer une mémoire exceptionnelle, l'américain Harry Lorayne est aujourd'hui le plus connu des mnémonistes professionnels. Artiste de variété, magicien, il sillonne les Etats-Unis d'Amérique d'émissions en conférences, toutes sur ce thème : « Comment développer sa mémoire ». Mais bien avant lui, d'autres magiciens se sont intéressés aux prodigieuses capacités d'une mémoire entraînée. Parmi eux, deux frères : Ferdinand et Isidore Bonheur.
En 1874, alors que le mentalisme se développe un peu partout, notamment à travers de séances de « magnétisme », Isidore présente un numéro de Chronologie Universelle : sous l'influence du magnétisme, son sujet est amené à relater tous les faits historiques « qui se sont passés dans l'univers entier depuis plus de 2000 ans avant J.-C jusqu'à nos jours ». Simulation ou mnémotechnie, qu'importe : le thème d'une mémoire prodigieuse, en spectacle, est abordé semble-t-il pour la première fois. D'autres vont suivre.
On peut supposer qu'à partir du moment où les magiciens se sont intéressés à tout ce qui touchait à la « clairvoyance », le « magnétisme » et d'une façon plus générale aux capacités cachées de notre cerveau, ils ont tous, plus ou moins utilisé des procédés mnémotechniques pour présenter leurs effets de mentalisme.
Quel magicien a, pour la première fois présenté un numéro de mémoire prodigieuse ? Difficile à dire. Mais si on se réfère aux premiers numéros de mentalisme, il semblerait bien que ce soit Pinetti, en 1781, à avoir détourner les procédés mnémotechniques dans son numéro de clairvoyance, présenté avec sa femme. Ce qui est sûr, c'est que ces procédés n'ont pas tout de suite été utilisés pour des numéros de mémoire prodigieuse pure.
Mémoire et calculs prodiges
Vers 1882, un jeune prodige du nom de Jacques Inaudi, défraya la chronique. Doué d'une capacité de calcul fulgurante, il effectuait les opérations mathématiques les plus difficiles en quelques secondes, tout en jouant de la musique ou en répondant aux questions du public. Il terminait son numéro par un effet digne d'une étonnante mémoire en récapitulant tous les chiffres cités qui avaient été notés sur un tableau. Il effectua ses dernières prestations lors des tournées Bénévol, de 1929 à 1934.
Les années 1930 connaissent un véritable mnémoniste, artiste du spectacle : Tréborix, auteur de L'ABC de la mnémotechnie. Illusionniste, il utilisait principalement le principe d'associations d'images et mélangeait numéros de mémoire pure avec d'autres, simulés. Honnête avec son public, il se présentait comme illusionniste, ne se séparant jamais de sa baguette magique, histoire de rappeler à son auditoire qu'en sa qualité de magicien, il pouvait faire croire ce qu'il voulait tant qu'il était sur scène. Très humble, il était d'ailleurs le premier à admettre qu'au-delà de ses démonstrations, sa mémoire restait très ordinaire.
Dans le domaine des mémoires prodigieuses, les années 50 sont marquées par Leslie Welch, "l'homme à la mémoire prodigieuse". Répondant à toutes sortes de questions, il est resté très longtemps actif. Ses numéros, qui s'approchent au plus près des vraies capacités de la mémoire, sont plus l'apanage d'une mémoire exercée et sollicitée, qu'une utilisation de procédés mnémotechniques. A partir de 1970, Harry Lorayne reprend le code chiffre lettre à son compte et en fait un best seller. Capable de mémoriser jusqu'à 400 noms entendus une seule fois, Harry Lorayne se spécialise définitivement dans ce domaine.
Les championnats du monde de la mémoire
En 1991, Tony Buzan, créateur du « Mind-Mapping » crée les championnats du monde de la mémoire. Ce championnat, pris d'assaut par les médias, est devenu un mythe en soi : en effet, pour le commun des mortels, les vainqueurs de ces championnats restent des êtres hors du commun ! Qui n'a jamais rêvé de posséder une mémoire exceptionnelle ? Qui n'a jamais rêvé d'être plus intelligent ? Car en effet, les participants doivent être en mesure de mémoriser :
- un poème en 15 minutes
- un nombre de plusieurs dizaines de chiffres en 30 minutes
- le plus grand nombre de jeux de cartes mélangées en 1 heure
- le plus grand nombre de visages et noms en 15 minutes
- le plus grand nombre de chiffres séparés par une virgule en 5 minutes
- le plus grand nombre de mots donnés aléatoirement en 15 minutes
- le plus grand nombre de dates historiques etc¦
Le plus grand champion de tous les temps est Dominic O'Brien, 7 fois champion du monde. Le « prodige » dévoile toutes ses techniques dans différents livres où l'on apprend qu'il utilise en fait une version améliorée de la technique des lieux ou Loci. Le goût de la compétition, de l'exceptionnel, a ainsi permis de véritables miracles. Ainsi, en 1998, le malaisien Yip Swe Chooi a récité 60.000 chiffres du nombre Pi avec seulement 44 erreurs. En 2003, l'autrichien Lukas Amsüss a mémorisé 154 nombres à deux chiffres en 1 minute. En 2002, Dominic O'Brien a mémorisé 54 paquets de cartes, soit 2808 cartes à jouer en ne faisant que 8 erreurs, et en 2004 l'anglais Ben Pridmore a mémorisé 312 cartes en 10 minutes. En 2008, le même Ben Pridmore a mémorisé un jeu de cartes mélangées en 29 secondes ! Ce qui était autrefois considéré comme un don est aujourd'hui devenu un sport.
Mais chaque revers a sa médaille. Aussi, bien que ces résultats fassent rêver, la réalité est toute autre. Les recherches menées sur ces "prodiges" ont permis de découvrir que la mémoire avait cette capacité de se spécialiser. Ainsi, les champions de la mémoire ne possèdent pas forcément de mémoire supérieure aux autres personnes. Ils sont simplement meilleurs dans leur domaine. Ils ont su entraîner leur mémoire pour mémoriser des chiffres, des cartes, des poèmes, sur une période relativement courte, mais suffisamment longue pour impressionner. De bon augure pour tous ceux qui souhaitent apprendre à mémoriser !
Vos réactions (8)
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Merci beaucoup.
Merci pour ce partage. J'ai appris
Merci
Merci de partager vos riches connaissances
C est super!
Merciiiiiiiiiiiiiiiiiiiii
vraiment merci beaucoup pour tout ce travail gigantesque que vous faites
Merci Joël
Fabuleuse histoire, qui montre que notre mémoire a des ressources infinies !