circuit de papez et memoire

Une expérience de mémoire à la Maison d'Aïna

La Maison d'Aïna est située à Madagascar, à Talakimaso, dans la région des Hauts Plateaux.
La Maison d'Aïna est située à Madagascar, à Talakimaso, dans la région des Hauts Plateaux.
En 2002, la petite Aïna décède subitement à l'âge de 9 ans. Quelques mois auparavant, lorsqu'on lui demandait ce qu'elle aimerait faire plus tard, elle répondait : "aider les enfants pauvres et orphelins". Suite à ce drame, sa maman, Hanta Ramakavelo, crée l'association "La Maison d'Aïna" pour honorer le désir de sa fille, qui, d'où elle est, ne peut qu'être fière du travail accompli.

La Maison d'Aïna : donner une chance aux enfants démunis

J'ai rencontré Hanta Ramakavelo au cours d'une intervention sur la mémoire, à Antananarivo. Animatrice d'un groupe APM à Madagascar, Hanta est une passionnée de transmission, d'éducation, de développement de la personne. Son ambition est d'éveiller les Malgaches : leur conscience, leur autonomie, leur savoir. Le chemin est long et parsemé d'embûches. Mais jour après jour, animée par une énergie débordante et usant de tous les canaux à sa disposition, Hanta poursuit sa quête en mémoire de sa fille, Aïna.
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Au retour d'un périple dans les terres Malgaches, à Betafo, dans la région de Antsirabé, nous nous arrêtons à Talakisamo. Nous sommes à 70 km au sud de Antananarivo. Pour moi, français, c'est le grand écart. Le grand écart entre mon pays, tellement riche, tellement facile, tellement confortable, où les gens se demandent ce qu'ils vont regarder sur Netflix le soir et cet endroit où l'eau n'arrive même pas dans les "maisons". Comment, dans ces conditions, assurer un avenir aux enfants ?

C'est en 2002 qu'est née la Maison d'Aïna, à Aix-en-Provence d'abord, puis à Madagascar. Imaginez un terrain de 7000m². Vous êtes au cœur du cinquième pays le plus pauvre au monde. Ici, les gens "moyens" vivent avec un salaire minimum de 50 euros. La plupart du temps, ils ne vivent de rien d'autre que de leur production personnelle. Sur la pyramide de Maslow, ils sont au premier niveau et le second est encore une option.Sur ce terrain, donc, tout est à construire. Aidée par quelques locaux, Hanta monte une équipe d'enseignants, d'aides en tout genre, de bénévoles pour créer un espace improbable où actuellement 50 enfants défavorisés sont pris en charge au niveau scolaire et éducatif.

En France, on se pose la question de savoir s'il faut remettre le costume à l'école. Ici, l'enjeu, c'est de sortir chacun de ces enfants de leur misère, de croire en eux et de les convaincre qu'ils peuvent aspirer à une vie meilleure pour eux et toute leur famille. Certains diront que c'est une goutte d'eau dans l'océan. Mais parions que c'est ce genre d'initiative qui permettra à des pays comme Madagascar de libérer tout leur potentiel.

Une arrivée en fanfare

C'est Hanta qui m'a proposé de visiter la Maison d'Aïna. Qui est plus qu'une école : c'est un lieu de vie qui doit permettre une vraie transformation générationnelle. Hanta me demande d'expérimenter avec les enfants et les enseignants la méthode des lieux. Il y a 4 classes du CP au CM2. L'enjeu secret, aussi, c'est de montrer aux enseignants locaux qu'on peut sortir d'un système scolaire rigide, hérité de la France, et proposer une approche bien plus fun, positive, amusante. Si vous me connaissez, vous savez que je milite pour une école bien plus contextualisée, bien plus cool, plus libérée aussi, où on s'attache à rendre les apprentissages attractifs. Si vous avez des enfants scolarisés, et on pourrait en débattre longtemps, vous savez que notre système scolaire, contrôlant, est loin d'être idéal.

La chance ici, c'est que l'école est autonome. Les classes sont composées d'une dizaine d'élèves. En dehors des classes, la nature est omniprésente. Bref, l'endroit presque rêvé pour mettre en pratique des approches qui donnent envie d'apprendre à tout moment.

Nous arrivons en fin de matinée et l'accueil est très chaleureux :
Vient le moment de la visite. L'endroit est très spacieux et loin de ce que je m'imaginais. Tout est très bien pensé, tout est très bien organisé et on sent toute la réflexion et la vision derrière ce projet. Par exemple, la première contrainte est l'autonomie alimentaire. Dans une région aussi pauvre, loin de tout et avec un budget limité, tout est mis en œuvre pour vivre de sa production. Ainsi, tout près de l'école, on retrouve des cultures, des légumes, des rizières entretenus et développés par des bénévoles. Et tout en bas, une source d'eau. Et, en attendant un système d'eau potable en cours de création, les cantinières commencent la journée par récupérer 240 litres d'eau chaque jour.

Imaginez : chaque matin vous descendez la vallée. A peu près 15 minutes de marche avec deux bidons de 20 litres vides. Vous les remplissez et vous remontez la colline ainsi chargé. Il faut 6 allers-retours chaque jour pour assurer les besoins élémentaires en eau pour toute l'école. Ensuite, cette eau est bouillie puis filtrée au riz pour obtenir de l'eau de riz. C'est d'ailleurs très bon, mais j'ignore si la qualité de l'eau obtenue respecte les normes sanitaires internationales. De toute façon, ils n'ont pas le choix.

L'école est constituée de quatre classes, d'une cantine ouverte, d'un atelier qui permet de construire du mobilier avec certains élèves plus âgés, d'une bibliothèque et d'un gîte permettant d'accueillir des personnes de passage. Pas d'électricité, pas d'eau courante ; ne comptez évidemment pas sur Internet et oubliez la télévision. Par contre, la nature vous accueille à bras ouvert :

Les conditions de vie des enfants défavorisés

J'ai hésité à partager ce qui suit. Mais, dans le même temps, j'ai été autorisé à prendre des photos. Et il me semble important de rendre compte de certaines conditions de vie, réelles et peut-être inimaginables pour nous autres, occidentaux. Je précise que plus je voyage (environ 35 pays au moment où j'écris cet article, partout dans le monde), plus il m'est difficile de comprendre les plaintes des personnes bien au chaud dans une vraie maison, avec un vrai toit, de l'eau, de la nourriture, des prestations sociales. Et plus il me paraît nécessaire de tout faire pour conserver et protéger le bien commun. J'espère, peut-être, modestement, éveiller quelques consciences à travers ce témoignage. J'aimerais que le lecteur se rappelle que, né en France ou dans n'importe quel pays "riche", il fait partie de cette minorité de gens bien-nés et qu'il aurait pu en être autrement. Imaginez vivre dans une maison en terre cuite, avec un toit pas forcément étanche. Une maison d'environ 30 m² pour six personnes :
Une maison locale
Une maison locale
Cette maison est occupée au rez-de-chaussée, dans la partie gauche, par un zébu, utile pour le travail dans les champs et, dans la partie droite par une "cuisine" où tout est cuit au feu de bois dans des conditions très précaires. A l'étage, au-dessus de la cuisine, ce qu'on pourrait appeler une chambre avec un lit pour deux personnes : la chambre "maritale". A gauche au-dessus du zébu, une chambre pour quatre pour les grands-parents et les deux enfants :
Imaginez maintenant vivre dans ce lieu. Imaginez être un enfant et, chaque matin, vous réveiller dans ces conditions plus que précaires. Je vous rappelle : pas d'eau courante, pas de chauffage (ici les températures peuvent tomber sous les 10°C en période sèche), pas de garde-manger. On vit au jour le jour. Comment pensez-vous pouvoir mobiliser des capacités cognitives pour apprendre et tenter de vous en sortir ? C'est pourtant le défi que ces enfants acceptent de relever. Et ça commence par une vision.

"Rêvez, travaillez : on s'occupe du reste"

Tout commence par une vision : cliquez pour voir en grand !
Tout commence par une vision : cliquez pour voir en grand !
C'est la maxime de Hanta : permettre aux enfants de dynamiter toutes leurs croyances limitantes et se permettre de rêver. Oui, même ici, tout est possible. On peut tout s'autoriser, même de rêver. Et, en arrivant, chaque enfant précise son rêve par écrit. Ce rêve est ensuite affiché dans l'école. C'est le point de départ d'un cheminement. Celui qui a permis à d'autres enfants avant ceux que je rencontre de s'en sortir. Comme ce garçon qui a monté son restaurant à Antananarivo. Ou encore ces jeunes filles qui ont obtenu leur baccalauréat. Le succès n'est jamais assuré, mais il commence par un premier pas.

Pour moi, une des clés majeures de la réussite réside dans l'accès et l'acquisition de la connaissance. Le savoir encyclopédique permet de structurer sa pensée, apprendre des stratégies pour apprendre. Pour permettre le développement de soi, de son efficacité. Comment fonctionne la mémoire ? Peut-on tous mémoriser et apprendre à tout âge pour progresser dans son quotidien ?

Je ne suis présent sur place que quelques heures. Si je peux semer dans la tête de ces enfants ainsi que de leurs enseignants que le propre de l'homme est d'apprendre toute sa vie, de prendre plaisir à le faire le plus longtemps possible et, pour que ça soit encore plus accessible de comprendre les mécanismes de la mémoire alors...

Pratique rapide de la méthode des lieux

Après le repas, Hanta m'invite à visiter les classes et proposer à chacune une expérience de mémoire. Je suggère à Hanta, qui a suivi une journée de formation avec moi, de tester la méthode des lieux avec une quinzaine de mots. Je l'invite à prendre en main la conduite de l'exercice, en Malgache. Bien que les enfants comprennent le français, ils parlent Malgaches et Hanta souhaite revaloriser sa langue, ce qui est bien normal.

Les  classes sont mixtes et composées d'une dizaine d'élèves. Celle des CP est étroite et construite dans un container. Toutes sont relativement petites et très classiques, avec des pupitres en bois et un tableau :
Nous commençons par la classe de CP. Hanta explique que dans un instant, tous possèderont un pouvoir, celui d'une mémoire incroyable. Et qu'ils pourront étonner leurs parents et leurs proches. Elle collecte une quinzaine de mots, choisis par les enfants. Puis, elle les invite à sortir pour leur expliquer la méthode. Elle consiste à déposer mentalement tous les mots sur un trajet et, ainsi, retrouver le chemin de l'information. La méthode des lieux, issue de l'Antiquité, est très facile à proposer dès l'âge de 5 ans et permet non seulement de comprendre les mécanismes de base de la mémoire, mais aussi de prendre ou reprendre confiance en soi.

Avec la complicité des enfants, et parce que les CP sont encore petits, Hanta décide de les impliquer dans un jeu, de les faire bouger, de vivre le trajet et les associations d'idées en formant un petit train. L'ensemble est très amusant, très fun, très contextuel et sans doute très différent des méthodes que les élèves ont l'habitude d'utiliser :
Les autres classes participent tour à tour à l'expérience sous le contrôle d'Hanta qui rivalise d'imagination pour leur permettre d'associer les idées choisies avec les trajets créés. Et les résultats sont là : 100% de réussite. Nos petits mnémonistes s'en sortent haut la main et repartent avec une première méthode mnémotechnique :
"Rêvez, travaillez, on s'occupe du reste" : on retrouve dans cette expérience cette volonté de ne pas de mettre de barrières. De croire que tout est possible. Qu'on peut tous mobiliser nos capacités de la meilleure des façons, avec les moyens dont nous disposons, pour progresser, avancer. Il suffit parfois d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Je ne sais absolument pas ce que feront les enseignants et les enfants de cette brève initiation. Il faudrait évidemment passer plus de temps, discuter, évaluer, proposer, tester, motiver. Mais la graine est plantée.

Une réflexion sur l'apprentissage

Sur le chemin du retour vers Antananarivo, nous avons beaucoup échangé avec Hanta sur des pistes pour favoriser la mémorisation et l'apprentissage. Pour la guider, je lui ai proposé de toujours se référer aux fondamentaux :
  • L'attention et, en lien, la motivation. On ne peut pas acquérir de la connaissance, du savoir, on ne peut pas apprendre si l'attention n'est pas mobilisée et dirigée. Il faut donc user de stratégies attentionnelles et créer des routines quotidiennes. C'est le rôle de l'enseignant de capter, maintenir et guider cette attention au quotidien. De travailler sur la persistance attentionnelle. Les méthodes existent s'appuient sur la stratégie du défi.
  • L'encodage : traiter l'information est nécessaire. Tout l'enjeu est de rendre ce rapport au temps et à l'effort acceptable. Le circuit de la mémoire est la base sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour contextualiser, éclairer et consolider l'information.
  • La récupération : se préparer à retrouver de tête des informations est utile pour tout élève qui doit être prêt le jour de l'examen. Automatiser des stratégies mnémotechniques, comme la méthode des lieux, les associations d'idées ou encore la table de rappel est une bonne idée.
On peut aussi travailler sur la notion de classe et repenser la disposition des lieux d'apprentissage. Valoriser la créativité, le mouvement, le partage, l'échange. Encourager systématiquement et repenser les évaluations pour les rendre constructives et positives. Et se rappeler que l'école devrait être attractive. Apprendre devrait être un plaisir. Et pas une contrainte. Aucun élève ne devrait se rendre à l'école avec la boule au ventre. En traînant des pieds. L'école devrait favoriser la confiance en soi et l'émergence des potentiels de chacun d'entre nous dès l'enfance.

Le chemin est encore long et, peut-être, un jour, un jeune malgache viendra donner ses conseils à des français ?
Devenez parrain/marraine d'un enfant :

Vos réactions (7)

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Formidable article qui incite à reconsidérer notre positionnement et nos façons de faire. Tous les élèves devraient le lire.

par Nadine . , il y a 3 mois

Merci Vincent pour ta générosité réitérée ici
Merci pour tes partages et échanges
Et bravo pour ce beau reportage !

par Pascal GAUTIER , il y a 2 mois

Très belle aventure Vincent !
Belle continuation et bravo de la partager 🙏🌈

par 16 , il y a 2 mois

Merci Vincent pour ce que tu fais, pour tes partages, échanges et pour ce beau reportage !

par Abacus , il y a 2 mois

Merci pour ce partage Vincent.
Bonne continuation !

par Muriel Pouget , il y a 2 mois

Merci pour tout ce que vous faite.
Bon courage et bonne suite à tous ces élèves.

par Justin , il y a 2 mois

Je fais suivre...à Madagascar :-). Un beau reportage et de beaux voyages. Il y aurait beaucoup à faire pour eux et ce pays et plein de ressources, à commencer par ses enfants . Merci de nous ramener sur terre et nous rappeler la chance que nous avons. On va pas dire que c'est parfais mais on a quand même des problèmes de riches. Amitiés.

par Manu , il y a 2 mois
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