Chaque cerveau est différent. Dans les faits, la procédure pour percevoir et donner du sens à de l'information est identique chez tout le monde : vous utilisez, par exemple, votre vue pour capter l'information visuelle. Cette information sera ensuite traitée par le cortex visuel qui, grâce à différentes aires indépendantes, se chargera de décoder la couleur, la forme et le mouvement de ce que vous voyez. Par recoupement, vous trouverez une signification à l'information captée, et vous répondrez à cette perception par une action adaptée : vous agirez en fonction de ce que vous percevez. Si quelqu'un vous tend un verre d'eau, vous le saisirez pour le boire.
Là où tout le monde diffère, c'est bien évidemment sur l'interprétation de ce que nous captons. Ainsi, si nous vous demandons d'imaginer un ballon, certains penseront au foot, d'autres à la plage, d'autres encore à leur enfance. Si nous vous demandons d'analyser une œuvre d'art, chacun d'entre vous donnera un avis différent. Tout simplement parce que la « vision » que vous avez de votre environnement dépend de vos gènes d'une part ainsi que de vos différentes expériences. Expériences qui ont façonné votre cerveau et donc votre jugement.
Le rôle de l'interprétation
Prenez un musicien : si vous le soumettez à un examen en laboratoire, vous observerez une activité intense au niveau du cortex auditif de l'ordre de 25% supérieure à la moyenne. C'est le résultat de la stimulation, de l'entraînement régulier qui a donné à ce musicien un acquis durable et puissant. Il saura rapidement reconnaître une note, un air, alors qu'un non musicien n'y parviendra pas. L'interprétation finale sera donc différente. Lorsque le cerveau interprète mal une information, il est victime de ce qu'on appelle une distorsion. C'est le cas face à des illusions d'optique, des mirages mais aussi lorsqu'on modifie l'angle de vue d'une information pourtant bien connue.
Regardez l'image à l'envers ci-contre : reconnaissez-vous ce portrait ? Comment s'appelle-t-il déjà ? Évidemment, la plupart d'entre vous aura reconnu la célèbre Joconde. Tournez maintenant votre tête (et j'imagine que ça ne va pas être facile) pour la regarder à l'endroit. Surprenant, n'est-ce pas ? Vous avez perçu des similarités avec un tableau que vous connaissez bien. La Joconde est célèbre pour son sourire : or, ici, elle apparaît plutôt triste. Car il ne s'agit que d'une vulgaire copie et non pas de l'œuvre originale. Vous présenter ce portrait à l'envers a suffi à vous induire en erreur. Ces erreurs d'interprétation sont à la base des illusions dites cognitives : c'est votre raisonnement qui est trompé, manipulé.
Les corrélations illusoires
Les corrélations illusoires influencent votre capacité à raisonner. Même en toute bonne foi, vous pouvez être amené à établir un faux raisonnement : c'est ce qu'on appelle un paralogisme. Par exemple, si lorsque vous décrochez le téléphone vous avez affaire à une personne à qui vous pensiez juste à ce moment-là , vous penserez à de la télépathie alors qu'il s'agit probablement d'une coïncidence. C'est exactement ce qui se passe avec l'astrologie, la voyance : on ne se rappelle jamais des fausses prédictions mais bien des bonnes. Au final, les personnes déjà influencées interprètent l'information et renforcent un peu plus leur croyance dans ce qui ne devrait être qu'un jeu.
Une étude, très célèbre, a consisté à donner la date, l'heure et le lieu de naissance d'une célébrité à cinq astrologues réputés qui devaient déterminer son thème astral. L'un d'entre eux suggérait que cette personne s'épanouirait au contact des enfants, deux autres lui prédisaient une vie très positive et un quatrième disait qu'elle était douce, gentille et attentionnée. De quelle célébrité s'agissait-il ? Du tueur en série John Gacy, condamné 20 fois à mort pour avoir assassiné trente-trois jeunes garçons.
Croyances et dissonance cognitive
Les croyances se basent sur des faits considérés comme vrais. Ainsi, la baguette magique provoque un tour de magie (alors qu'elle n'est qu'un accessoire). Se baigner après avoir mangé est dangereux (alors que l'hydrocution est due à une différence de température). La lumière attire les moustiques (alors que c'est le CO2 qui les attire, même la nuit !).
Ce qu'il y a de fascinant avec les croyances, c'est que même si, à un moment donné, quelqu'un ou quelque chose vient vous prouver de façon irréfutable que vous avez tort d'y croire, vous ne serez pas disposé pour autant à remettre en cause ce que vous avez toujours cru être vrai. Dans votre corps, une tension va apparaître, une contrariété même : les nouvelles connaissances qu'on vous apporte sont incompatibles avec celles que vous possédez. Vous êtes alors en état de dissonance cognitive : en déséquilibre mental total. Vous allez, de façon inconsciente, procéder à un équilibrage cognitif par un processus de rationalisation. C'est-à -dire que vous allez modifier vos croyances, vos attitudes et vos connaissances pour coller au plus près des nouvelles informations.
Les magiciens, eux-aussi, jouent de la dissonance cognitive. Lorsqu'un spectateur un peu sceptique remet en cause l'illusion dont il vient d'être victime, même s'il n'a rien compris au truc, il avance différentes solutions pratiques : « c'est dans les manches » ou « il y a un compère » etc. Cette réaction bien compréhensible a pour premier objectif de le rassurer lui-même et de le conforter dans ses croyances.
Cependant, un bon magicien sait comment déjouer ces comportements. En semant ici et là différentes fausses solutions, il s'appuie sur celles et ceux qui veulent croire à la magie et qui se chargeront eux-même de contrer les arguments des sceptiques à sa place afin de remettre la brebis égarée dans « le droit chemin ». C'est une façon élégante et « magique » de persuader son auditoire de façon détournée : laisser les autres apporter la preuve qu'il n'y a "aucun truc" !
Le raisonnement inductif
Alors que la déduction s'appuie sur ce qui a déjà été validé, l'induction quant à elle repose sur des faits constatés. Les magiciens s'appuient sur les inductions pour convaincre. Ils suggèrent pour amener le spectateur à créer ses propres certitudes. C'est ce que Juan Tamariz, célèbre magicien espagnol, appelle le chemin magique : l'art et la manière de fermer la porte à toutes les vraies solutions pour suggérer au spectateur de fausses solutions. Plus vous suggérez de preuves, plus vous influencez. Plus les inductions sont fortes, plus elles sont convaincantes. Il existe 6 formes d'inductions :
- La généralisation ; une corrélation illusoire est une généralisation : si A précède B, alors A provoque B.
- Le syllogisme statistique : on part d'une généralisation, par exemple : le magicien, quand il agite sa baguette magique, fait apparaître un lapin dans un chapeau. Le syllogisme statistique : tous les magiciens font apparaître leur lapin dans leur chapeau. Ou encore : tous les magiciens utilisent une baguette magique.
- L'induction simple : c'est l'addition de la généralisation et du syllogisme statistique. Si on reprend notre exemple : le magicien fait apparaître un lapin dans un chapeau en agitant sa baguette magique, d'ailleurs tous les magiciens font apparaître un lapin dans un chapeau. L'induction simple : donc, les chapeaux des magiciens sont magiques.
- L'argument d'analogie : c'est lorsque vous utilisez des analogies pour en déduire une conclusion. Par exemple : Pascal est habillé comme un magicien, donc c'est un magicien. Ou encore : il utilise une boule de cristal pour lire l'avenir, donc c'est un voyant.
- Les inférences causales : c'est l'addition d'informations qui, mises bout à bout, nous aident à nous forger une opinion, vraie ou fausse. Les inférences causales sont le résultat de généralisations, syllogismes statistiques, d'inductions simples, d'arguments d'analogie.
- La prévision : votre cerveau s'appuie sur l'ensemble de vos connaissances pour prévoir. La prévision inductive est basée sur vos croyances : si vous croyez qu'une porte est ouverte, vous prévoyez de pouvoir l'ouvrir. Si elle ne s'ouvre pas, vous êtes en situation de dissonance cognitive : vous devez réajuster l'ensemble en vous disant que, sans doute, quelqu'un l'a fermée sans que vous ne vous en soyez rendu compte.
Le processus de raisonnement inductif commence donc dès la généralisation et se renforce jusqu'à créer des inférences causales : à ce stade, face à une illusion, la conscience du spectateur est mise à rude épreuve, très peu de personnes sont capables de s'échapper de la toile tissée par le magicien. Surtout, ce dernier s'appuie sur cette capacité somme toute naturelle qu'a l'être humain de prévoir et d'anticiper, afin d'éviter toute (mauvaise) surprise.