Comment se forme un souvenir ? Le cerveau est constitué d'environ 100 milliards de cellules nerveuses appelées neurones. La plupart de ces neurones sont regroupés en circuits et s'excitent donc en même temps lorsqu'ils sont activés. Par exemple, lorsque vous voyez quelque chose, ce sont les neurones associés au cortex visuel qui sont sollicités. Ainsi, lorsqu'un des neurones du même circuit est excité, il réveille son voisin qui subit alors des modifications chimiques le rendant encore plus réceptif. Ce qui lui permet d'être en attente durant quelque temps, jusqu'à ce que la première cellule nerveuse s'active à nouveau. Dès que la première cellule s'activera à nouveau, la seconde réagira plus rapidement, du fait qu'elle est plus réceptive.
Les connexions entre ces deux cellules se renforceront donc de plus en plus et deviendront permanentes, de façon à ce que l'excitation d'une cellule déclenche automatiquement l'excitation de l'autre cellule. Ensemble, elles pourront alors faire réagir n'importe quelle autre cellule voisine afin de créer ainsi un véritable circuit et donc un souvenir.
Notez que l'alcool, les médicaments et les drogues sont un frein à la mémorisation. Selon une recherche parue en août 2003 (et reprise depuis) dans le magazine Sciences et Avenir, "Fumer du cannabis nuit à la mémoire. Le principe actif du cannabis, le THC (tétrahydrocannabinol), en désinhibant trop longtemps certains neurones de l'hippocampe, région profonde du cerveau indispensable à la mémoire, finirait par en réduire l'activité, notamment ce que les scientifiques appellent la LTP (Long Term Potentialisation), le seul mécanisme neurochimique connu actuellement pour jouer un rôle dans le processus d'apprentissage".
Les souvenirs : réalité ou interprétation ?
Votre mémoire, à moins de posséder ce qu'on appelle une mémoire éidétique, n'est pas photographique. C'est au contraire une faculté complexe. Le processus de mémorisation est complexe. Car bien souvent, il s'appuie sur votre capacité à interpréter. Ainsi, à chaque fois que vous mémorisez une information, que vous vous l'appropriez, votre cerveau la compare avec d'autres informations, l'analyse, bref procède à un traitement complet.
Une étude incroyable sur les faux souvenirs
Vos souvenirs sont donc très personnels. Ainsi, parce que vous ne percevez pas de la même façon que votre voisin, parce que vous n'avez pas les mêmes références, vous ne retiendrez pas de la même façon. Il n'est d'ailleurs pas rare de constater chez les gens que ce qu'ils croient connaître de leur enfance n'est pas toujours exact. Parfois, il s'agit d'événements qu'on leur a racontés et qu'ils se sont appropriés. Vous ne me croyez pas ?
Elizabeth Loftus, de l'Université de Washington, a fait des faux souvenirs sa spécialité.
Avec sa collègue Kathryn Braun, de Harvard Business School, elles ont mené une expérience étonnante. Elles ont constitué quatre groupes de personnes à qui elles proposaient d'évaluer une annonce publicitaire suite à un voyage à Disneyland. Le premier groupe se voyait remettre une publicité sur Disney sans qu'aucun des personnages ne soit mentionné. Même chose pour le second groupe, sauf qu'on mettait dans leur environnement immédiat une figurine d'1m20 représentant Bugs Bunny. Au troisième groupe, on leur confia une fausse publicité faisant mention de Bugs Bunny. Finalement, le quatrième groupe, en plus de la publicité mensongère, était en contact immédiat avec la figurine du célèbre lapin. Chaque groupe, je le rappelle, venait de visiter Disneyland.
Lors d'un questionnaire qui suivi l'expérience, 30% des personnes du groupe 3 affirmaient avoir rencontré Bugs Bunny lors de leur visite contre 40% pour le groupe 4. Problème : Bugs Bunny est un personnage Warner Bros que vous ne trouverez jamais chez Disney. Le plus étonnant, c'est que certains visiteurs se rappelaient même avoir serré la main du héros à la carotte ! Selon Kathryn Pickrell, "le fait de créer un faux souvenir est un processus. Quelqu'un disant « Je sais que ça pourrait être arrivé » en est à la première étape de la création d'un souvenir. Si vous croyez vraiment avoir eu Bugs Bunny en face de vous, vous avez un souvenir".
Selon la chercheuse, les conséquences peuvent être dramatiques, notamment par ce qu'elle appelle l'effet de vague : soumis à une suggestion, les victimes d'un faux souvenir sont non seulement enclin à en parler autour d'eux, mais en plus rajoutent des détails inventés de toute pièce. "La mémoire est très vulnérable et très malléable", conclue Elizabeth Loftus. "Les gens ne sont pas toujours conscients des choix qu'ils font. Cette étude met en évidence le pouvoir des évocations subtiles sur les souvenirs". Difficile à croire ? Et pourtant. Visionnez la vidéo ci-dessous, je vous promets que ça va déstabiliser plus d'une personne :
Est-il possible de reprogrammer et forcer des souvenirs ?
Les émotions associées à des souvenirs peuvent être réécrites, permettant d'adoucir des événements douloureux du passé et à l'inverse d'assombrir des moments heureux, suggère une étude menée sur des souris au Japon et aux États-Unis et publiée dans la revue scientifique Nature. "Cette propriété (de renversement) de la mémoire est utilisée cliniquement pour traiter des maladies mentales, cependant les mécanismes neuronaux et les circuits du cerveau qui autorisent ce changement de registre émotionnel demeurent largement méconnus", soulignent les chercheurs en préambule. L'objet de l'étude est de décrypter ces procédés sous-jacents, ouvrant la voie à de nouvelles pistes pour soigner des pathologies comme la dépression ou les troubles de stress post-traumatique. Elle "valide aussi le succès de la psychothérapie actuelle", explique à l'AFP le directeur de recherche Susumu Tonegawa.
Ces travaux, fruit d'une collaboration entre l'institut japonais Riken et le Massachussets Institute of Technology (MIT) aux États-Unis, s'appuient sur une nouvelle technologie de contrôle du cerveau via la lumière, appelée "optogénétique", pour mieux comprendre ce qui se passe quand on se remémore de bons ou mauvais moments et si l'on peut modifier la valeur (négative ou positive) associée à un souvenir. Les résultats démontrent que l'interaction entre l'hippocampe, partie du cerveau qui joue un rôle central dans la mémoire, et l'amygdale, censée être une sorte de chambre de stockage des réactions positives et négatives, est plus flexible que ce qu'on pensait jusqu'à présent.
Peut-on créer des souvenirs positifs ?
Pour parvenir à de telles conclusions, les chercheurs ont injecté une protéine d'algue sensible à la lumière à deux groupes de souris mâles. Ils ont ainsi pu suivre la formation d'une inscription en mémoire en temps réel, qu'ils ont réactivée à leur gré grâce à des impulsions lumineuses. Certains rongeurs ont été autorisés à jouer avec des femelles afin de créer un souvenir connoté positivement, tandis que leurs camarades se voyaient au contraire asséner un déplaisant choc électrique.
Dans un deuxième temps, les scientifiques leur ont fait artificiellement revivre ces souvenirs, tout en les soumettant simultanément à l'expérience opposée : les souris agréablement disposées recevaient un choc, tandis que les autres avaient la bonne surprise de rencontrer leurs comparses. La nouvelle expérience a pris le dessus sur l'émotion initiale. "Nous avons fait un test dans la première cage de laboratoire et la crainte originelle avait disparu", décrit Susumu Tonegawa, Prix Nobel de médecine en 1987. Cependant ce phénomène n'a pu être observé qu'en agissant sur l'hippocampe, sensible au contexte environnant, alors qu'il n'a pas été possible d'influer sur l'amygdale.
Les chercheurs, qui avaient déjà publié des travaux sur l'inscription en mémoire de faux souvenirs chez une souris, espèrent que leurs découvertes du changement de valence positive à négative (d'attirance à répulsion) et vice-versa, feront avancer la recherche médicale sur les maladies de type troubles dépressifs ou post-traumatiques, affectant notamment les militaires. à l'avenir, Susumu Tonegawa souhaite pouvoir "contrôler les neurones avec une technologie sans fil, sans outil intrusif comme les électrodes" et "potentiellement faire croître le nombre de souvenirs positifs par rapport aux négatifs". Reste à prouver que cette inversion d'émotion associée à un souvenir fonctionne de la même façon chez l'homme que chez la souris, même si l'on sait déjà que les processus mnésiques ont été conservés au cours de l'évolution des espèces.
Dans un commentaire rapporté par Nature, les chercheurs Tomonori Takeuchi et Richard Morris de l'université d'Edimbourg en Écosse estiment que cette étude jette une lumière nouvelle sur les mécanismes de la mémoire, tout en relevant les limites de l'optogénétique en la matière.