Le Camp des Milles

Mémoriser des nombres

Les Autistes Savants : un problème de synesthésie ?

rainman
Si vous avez déjà vu le film Rain Man, vous vous souvenez sans doute de cette séquence où Dustin Hoffman compte instantanément des allumettes tombées par terre. Son personnage, inspiré de l'autiste savant Kim Peek, a permis à l'époque au monde entier de découvrir l'existence de personnes atteintes de ce qu'on appelle le Syndrome d'Asperger.

En deux mots, le syndrome d'Asperger, du nom de son découvreur, caractérise des personnes capables de développer une compétence très pointue dans un domaine souvent réservé. Ce syndrome est un trouble du comportement apparenté à une certaine forme d'autisme.

Dans le cadre de mes formations sur la mémoire, il n'est pas rare qu'on m'interpelle sur le sujet. Peut-on, nous aussi, développer de telles capacités mnésiques et intellectuelles ? Rien n'est impossible, mais c'est un peu plus complexe qu'il n'y paraît.

Une mémoire étonnante... mais spécialisée

Il faut bien prendre conscience que les autistes savants présentent très souvent des troubles du comportement : hypersensibles, ils n'aiment pas, par exemple, les environnements trop bruyants. Ils sont pour la plupart incapables de comprendre le second degré. Déchiffrer une émotion leur semble impossible. Certains développent et entretiennent des Troubles Obsessionnels du Comportement (TOC).
Dernièrement, Daniel Tammet, un "aspie" (personne atteinte du syndrome d'Asperger), s'est plusieurs fois exprimé à la télévision. Ses performances ? Il est capable de vous donner instantanément ou presque le jour de votre date de naissance. Il peut apprendre une langue étrangère en quelques jours. Il peut aussi vous réciter le nombre Pi avec 25.000 décimales :
Interpellé par cette capacité, je me suis empressé d'acheter ses deux ouvrages (que je vous recommande) :
Dans le premier, Daniel, qui vit désormais en France, à Avignon, nous raconte toute son enfance et, comment, vers l'âge de 15 ans, on lui a diagnostiqué le syndrome d'Asperger. Dans son second livre, il partage avec nous sa vision de l'apprentissage, le potentiel du cerveau, les langues étrangères etc... Ce second opus ouvre des voies intéressantes, notamment pour la recherche.
Il y a plusieurs années, en 1997, j'ai eu l'occasion de travailler en centre de soin. Il y avait là des enfants présentant des troubles du comportement souvent liés à de la maltraitance. Mais il y avait aussi une jeune fille qui présentait une forme d'autisme savant. La première fois que je l'ai rencontrée, elle m'a demandé mon prénom et ma date de naissance. Elle faisait ça avec toutes les personnes qu'elle croisait. Une fois qu'elle avait obtenu l'information, elle retournait dans son coin, souvent dans une position accroupie.
Ce qu'il y avait d'étonnant, c'est qu'à chaque fois qu'elle vous rencontrait à nouveau, elle était capable de vous restituer votre date de naissance. Mais elle n'était cependant pas intelligente pour autant : sortie de cette compétence, elle était même très nettement en dessous de la moyenne.
Il y a quelques mois, j'avais mis à votre disposition une vidéo sur ce thème. Cette vidéo n'était plus accessible, mais je l'ai retrouvée dernièrement. Il s'agit d'un reportage sur les prodiges de la mémoire qui a été diffusé sur Arte. Vous y verrez notamment Kim Peek, celui qui a inspiré le film Rain Man, mémoriser un centre ville complet après l'avoir juste survolé en hélicoptère. Ce document est en 3 parties, l'ensemble fait environ 40 minutes :

A propos de la synesthésie

Dans les années 20, Veniamin, jeune reporter, possédait une drôle de particularité : il ne prenait jamais de notes. Les interviews, les réunions, il y assistait sans papier, ni crayon. Et pourtant, il n'oubliait rien. Intrigué, son patron l'envoya faire des tests chez un certain Alexander Luria[n], scientifique à l'Institut de Psychologie. Progressivement, Luria sonda cette étonnante mémoire mais se rendit très vite compte que son patient se souvenait de tout ce qu'il mémorisai. Et pas seulement une heure ou deux, mais pour toujours ! Il pouvait mémoriser un seul ouvrage lu une seule fois. Ce n'est que beaucoup plus tard, lors de conversation avec son patient, que Luria comprit que Veniamin était ce qu'on appelle un « synesthète ». Il entendait les choses, il les goûtait. Bref, chaque objet possédait une couleur, un goût, un son. Cette façon de percevoir le monde extérieur lui procurait cette incroyable mémoire. Il avait cette faculté de transformer les mots, les sons, les chiffres, en image, chargées d'émotions. Dès lors, il lui était impossible d'oublier...
Connaissez-vous la synesthésie ? Ce mot est d'origine grecque : "synes" veut dire "sens" et "thésie" veut dire "mélange". Les synesthètes sont des personnes dont les sens sont si développés qu'ils ne parviennent plus à oublier. Ils sont capables de mémoriser un texte entier lu une seule fois. Aucun détail ne leur échappe à partir du moment où ils l'ont vu ou entendu. 
Que peut-on en déduire ?
Plusieurs choses en fait. La première, c'est que la mémoire est sans doute capable de prodiges. La seconde, c'est qu'elle a tendance à se spécialiser. Ainsi, un polyglotte apprendra de nouvelles langues de plus en plus vite. Un comédien apprendra un nouveau rôle de plus en plus facilement. Un champion du monde de la mémoire comme Ben Pridmore, capable de mémoriser 52 cartes en à peine 30 secondes mémorisera les cartes de plus en plus vite. Mais pour autant, ce n'est pas parce qu'on sait mémoriser telle ou telle matière facilement ou rapidement qu'on est capable de le faire avec d'autres.
 Pourquoi ? 
Car là nous touchons ce qu'on appelle le transfert d'apprentissage. Ainsi, un élève doué en français n'est pas automatiquement bon en maths et inversement : le transfert d'apprentissage ne se fait pas car les matières sont suffisamment éloignées l'une de l'autre pour ne pas favoriser les associations mentales... Je vous avais prévenu : posséder une mémoire prodigieuse, ça n'est pas automatique !

Vos réactions (8)

Écrire un commentaire

Merci Vincent Delourmel pour cet article intéressant.

Bon succès à vous.

par Hanane . , il y a 16 ans

MERCI POUR LA PERTINENCE DU SUJET ET VOTRE POUVOIR DE REVELER DES TALENTS CACHES

par Hanane . , il y a 16 ans

vraiment intéressant
Merci bien

par Hanane . , il y a 16 ans

J'ai lu votre article et j'ai bien compris que le cerveau est prodigieux en terme de capacites.Cependant , j'ai une question:Comment comprenez que les autres vous trouvent intelligent(ils ne sont pas flatteurs) alors que vous même n'êtes pas de cet avis

par Hanane . , il y a 16 ans

je viens de terminer la lecture du dernier livre de Daniel Tammer"embrasser le ciel immense".un excellent ouvrage qui nous permet de savoir un plus sur le cerveau des génies.

par Hanane . , il y a 15 ans

Autiste savant... Et pourquoi pas singe savant aussi ! Quelle terminologie démodée, méprisante et stigmatisante. Je suis austiste et synesthète, j'ai le syndrôme d'Asperger et un QI élevé, et je n'apprécie pas d'être traitée d'autiste savante.

par Hanane . , il y a 7 ans

Désolé Lucille : aucun mépris de ma part, il s'agit d'une terminologie scientifique et je suis d'accord avec vous : on entend souvent "autiste de haut niveau", "autiste savant", "syndrôme savant".

par Vincent Delourmel , il y a 7 ans

TOC veut dire Troubles Obsessionnels Compulsifs et non pas du Comportement ! ;)

par Hanane . , il y a 6 ans

Bonjour,
Cet article dit dans l'ensemble beaucoup de choses vraies, mais aussi beaucoup de choses fausses. Par exemple, ce paragraphe :

"Les synesthètes sont des personnes dont les sens sont si développés qu'ils ne parviennent plus à oublier. Ils sont capables de mémoriser un texte entier lu une seule fois. Aucun détail ne leur échappe à partir du moment où ils l'ont vu ou entendu. "

...est totalement faux et manque visiblement de documentation : la synesthesie et l'hypermnesie sont deux choses totalement différentes. La synesthesie peut certes, dans certains cas, faciliter la mémorisation, mais chez l'immense majorité des synesthètes (soit ceux n'étant pas atteints du syndrome du "savant"), elle ne permet pas de tout retenir après une seule lecture ou écoute.
De plus, ce n'étaient pas 25.000 décimales de pi qu'a récité Daniel Tammet mais 22.514 . Enfin, je chipote un peu, je l'admets. Enfin, notez qu'il y a une différence énorme entre parler d'un autiste savant (Kim Peek, par exemple) et parler d'un autiste asperger.

Tout compte fait, il me semble que le problème majeur à cet article est le paragraphe sur la synesthésie cité précédemment, qui véhicule une image et des informations très fausses de ce qu'est la synesthésie. M'étant beaucoup documentée été tant synesthete moi-même, ce thème me semble avoir été plus que survolé, et deux ou trois recherches intelligentes sur Internet auraient pu vous détromper.

Voilà, et sachez que c'est en toute bienveillance que je vous fais ces critiques, afin qu'à l'avenir vous choisissiez mieux les sources auxquelles vous accordez foi.
;)

par Vanille , il y a 1 an

Bonjour Vanille, merci pour ces précisions. La thématique de la synesthésie est en effet large et regroupe parfois des cas qui sont tout autres. J'ai travaillé un an, 24h/24 avec différents autistes et/ou Asperger et/ou synesthètes, je connais très bien le sujet et une recherche Internet ne suffit pas. J'ai par ailleurs accompagné durant un an une jeune synesthète scolarisée et diagnostiquée comme telle. Il y a probablement autant de synesthètes que d'individus présentant cette particularité. Mais je vous l'accorde, la plupart d'entre eux montrent des performances loin de l'hypermnésie (qui est très rare, je n'en connais pas personnellement). Pour Daniel Tammet, vous avez raison de préciser au sujet du nombre Pi. Aujourd'hui, il semblerait que le record soit battu avec plus de 70 000 décimales.

Je précise que cet article a été rédigé il y a plus de 10 ans. Il a été remis en ligne en 2017 suite à une modification de plateforme web.

par Vincent Delourmel , il y a 1 an
Nouveau commentaire


Flux RSS des commentaires

Le Camp des Milles

Mémoriser des nombres